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Passage de flambeau chez Veolia Afrique : quelles implications pour le Maroc ?

Le paysage boursier français suit avec attention l’opération d’offre publique d’achat, lancée par le Groupe Veolia Environnement sur son concurrent Suez. Cette opération ne manquera pas d’avoir des répercussions sur le Maroc, vu que Veolia n’est autre que la maison-mère de Redal à Rabat-Salé et Amendis à Tanger-Tétouan, tous deux concessionnaires de la distribution d’eau et d’électricité dans ces villes. Pour sa part, Suez est la maison-mère de Lydec, qui opère à Casablanca et ses environs. Nous avons profité de l’appointement du nouveau responsable Afrique de Veolia, Philippe Bourdeaux, avec le départ programmé de Christophe Maquet, qui pilotera désormais l’Asie. L’occasion pour nous de faire le point avec les deux responsables sur les projets du groupe au Maroc et en Afrique, les conséquences sur un possible regroupement des services concédés sous la même entité au Maroc, sur fond d’actualité chargée avec le projet de rapprochement avec Suez, la gestion de l’eau dans les grandes villes, la politique de prix ainsi que le défi de la transformation écologique. Interview croisée exclusive accordée au «Matin du Sahara».

Le Matin : Depuis l’été, le Tout-Paris économique et médiatique résonne de cette tentative de rapprochement entre Veolia et Suez, qui est devenue le feuilleton capitaliste de l’année. Quelle est l’ambition de Veolia en voulant racheter son rival historique ?

Ce projet a débuté suite à la décision d’Engie de mettre en vente sa participation dans Suez. Trois possibilités s’ouvraient alors quant à l’acquéreur. Tout d’abord, l’acquéreur pouvait être un groupe industriel français, et Veolia est le seul qui s’est montré intéressé en présentant un projet. Cet acquéreur pouvait également être une grande entreprise étrangère ; à ce titre, notre principal concurrent chinois s’était adressé à Engie. Enfin, les parts auraient pu être rachetées par des fonds d’investissement. Vous connaissez le métier de ces derniers : ils cherchent à acheter des entreprises, à les «optimiser», puis à les revendre en visant une rentabilité maximale. Notre projet consiste à construire en France le champion mondial de la transformation écologique : il n’y en a pas de meilleur !
Nos deux groupes se sont développés depuis plus d’un siècle de manière très similaire et ont des cultures très proches. Mais ils sont aussi très complémentaires dans leurs implantations géographiques et dans certains savoir-faire techniques. Il existe de fortes synergies potentielles qui pourront être développées en partageant ces savoir-faire spécifiques. Tout cela se fera au bénéfice de l’ensemble de nos parties prenantes.

Certains s’inquiètent des répercussions possibles sur l’emploi et le service aux consommateurs si Veolia venait à reprendre Lydec à Suez. Qu’avez-vous à répondre à ces inquiétudes légitimes ?

Antoine Frérot, notre président-directeur général, a affirmé à de très nombreuses reprises que le rapprochement des deux groupes ne générerait pas de suppression d’emplois, ni de modification des avantages sociaux. Il n’y aura donc absolument pas d’économies par réduction d’effectifs ! Nous aurons besoin de tout le monde, et les synergies visées sont de nature industrielle et de long terme.
Au Maroc, le rapprochement se traduira par des échanges de bonnes pratiques entre les sociétés Lydec, Redal et Amendis qui permettront d’améliorer la qualité du service et les performances techniques. Je vous rappelle que la très grande majorité des effectifs des trois sociétés, pour ne pas dire la totalité, sont sur des tâches opérationnelles qui se poursuivront de toute évidence après le rapprochement. Il n’y aura aucune conséquence négative sur le volume de ces tâches. Par ailleurs, Lydec, Amendis et Redal ont une activité encadrée par des contrats de gestion déléguée. Chacune de ces entreprises a un fonctionnement autonome et dispose de ses propres services support qui ne peuvent pas être mutualisés (interdiction contractuelle). C’est d’ailleurs déjà ainsi pour Redal et Amendis qui appartiennent au même groupe sans que cela ait une influence négative sur les effectifs.
Ces contrats de gestion déléguée interdisent par ailleurs, sauf demande expresse des salariés, des transferts vers une autre structure. Et nos personnels bénéficient d’un statut protecteur (Statut du personnel des entreprises de production, de transport et de distribution d’électricité au Maroc).
En résumé, le rapprochement des deux groupes ne peut qu’être favorable pour l’ensemble des salariés : plus de perspectives d’évolution, plus d’échanges avec des collègues, et l’accélération de la croissance que permettra cette fusion des deux groupes, notamment par le développement de nouveaux services à l’environnement, seront par ailleurs source de création d’emplois !

D’autres encore affirment que vous deviendriez plus fragile financièrement au Maroc si la fusion venait à se matérialiser. Que répondez-vous à cela ?

Que ça n’a absolument pas de sens ! Il n’y a aucune raison que la fusion puisse affaiblir financièrement les sociétés des deux groupes au Maroc. Bien au contraire, c’est une consolidation de leur situation financière qu’il faut prévoir. Et c’est un avis partagé avec les principales banques de la place avec qui nous avons échangé sur le sujet.

Comment avez-vous géré vos services durant la pandémie, plus particulièrement au Maroc, que ce soit sur les plans opérationnels ou techniques ?
Au début de l’état d’urgence, nous avons défini deux priorités absolues : assurer la sécurité de nos clients et de nos collaborateurs et assurer pleinement la continuité du service public dans nos gestions déléguées (Redal et Amendis). Pour cela, nous avons déployé immédiatement notre plan de continuité d’activité prévu pour ce genre de situation en l’adaptant aux spécificités de la pandémie. Au premier jour du confinement, 1/3 des collaborateurs était en télétravail, 1/3 sur le terrain pour opérer les installations et 1/3, représentant les personnes non indispensables pour nos deux priorités, en attente à leur domicile. Début juin, la situation sanitaire s’étant améliorée, nous avons préparé notre plan de reprise d’activité. Nos agences commerciales ont ainsi pu rouvrir progressivement après les aménagements nécessités par les règles de distanciation sociale, la lecture des compteurs et la distribution des factures ont également repris petit à petit leur rythme normal. Compte tenu des impacts économiques de la situation sanitaire sur nos clients, en particulier les plus défavorisés, nous avons suspendu les coupures de service pour impayés et mis en place des plans de paiement adaptés.
Cela était un gros défi que nous avons pu relever grâce à la mobilisation incroyable de nos équipes (encore merci à elles) et à notre programme de digitalisation qui était déjà bien avancé au début de la crise. 
Tout cela s’est fait en étroite collaboration avec les autorités et sous leur contrôle.

Est-ce que vous comptez continuer à étendre votre empreinte dans le service de gestion délégué municipal ou bien ambitionnez-vous d’ouvrir de nouvelles lignes de Business 
au Maroc ?

Notre ambition est d’accompagner le Royaume dans sa transformation écologique. Nous nous sommes préparés pour proposer notre savoir-faire là où il y a des besoins et des demandes. Aujourd’hui, nous voyons que des domaines comme le traitement des déchets dangereux, ou la performance énergétique se développent rapidement sous l’Impulsion de Sa Majesté et les effets des politiques publiques qui en découlent. Cela concerne en premier lieu les industriels et tous les acteurs économiques en général.
Quant au marché des gestions déléguées municipales, il n’y a pas eu d’appels d’offres de lancés depuis maintenant plus de 20 ans dans le secteur de la distribution où nous sommes présents. Nous restons cependant attentifs et prêts à accompagner les collectivités territoriales et les autorités si elles le souhaitent.

Quelle place accordez-vous à l’innovation dans vos métiers ?

Nous développons au quotidien des innovations technologiques, contractuelles, sociales et managériales afin de proposer à nos clients municipaux, industriels et tertiaires des services à haute valeur ajoutée. L’innovation fait donc partie des cinq valeurs fondamentales de Veolia avec la Responsabilité, la Solidarité, le Respect et le Sens du client. C’est dire que l’innovation est au cœur de nos métiers. Chaque année, tous les cadres sont évalués sur leur contribution en la matière. Et cela se traduit par des réalisations concrètes dans tous les domaines. Depuis quelques années, la digitalisation est un formidable levier pour progresser. C’est vrai en interne (dématérialisation de nos procédures), mais aussi en termes de service client (auto-relevé de compteurs, télé-paiement, etc.) ou encore d’opérations (Hubgrade). L’innovation, c’est aussi introduire au Maroc de nouvelles pratiques mises au point chez Veolia dans d’autres pays. Pour la recherche de fuites dans les réseaux d’eau par exemple, nous utilisons les toutes dernières technologies disponibles. Même chose pour la maintenance des installations pour laquelle nous mettons en place les nouveaux outils informatiques du groupe basés sur l’Intelligence artificielle et le Big Data.
Nous continuerons à déployer nos progrès techniques partout où nous sommes présents, dès lors qu’ils répondent à une demande réelle et solvable. Nous cultivons les atouts que constituent la diversité de nos implantations géographiques et notre immense base d’expérience technique pour créer les services de l’environnement de demain.

Entreprise de référence pour la transformation écologique Christophe Maquet, vous dirigez la région Afrique et Moyen-Orient depuis janvier 2019, qu’avez-vous retenu de cette expérience de 26 mois ?

La zone Afrique et Moyen-Orient occupe une place particulière chez Veolia, d’abord parce que, sur nos métiers, les défis y sont immenses. Je pense bien évidemment au traitement et à la distribution de l’eau, qui sont un enjeu peut-être plus important encore qu’ailleurs dans les pays de cette région.
Pour ces raisons, mais aussi parce que les décideurs font preuve d’un réel volontarisme, cette zone est un modèle pour l’innovation et parfois un laboratoire pour le reste du Groupe Veolia dans le monde. C’est le cas, par exemple, pour la réutilisation des eaux usées ou le dessalement de l’eau de mer, où la zone est à l’avant-garde. J’ai donc passé deux années particulièrement enrichissantes d’un point de vue professionnel.
D’un point de vue plus personnel, j’ai apprécié la grande richesse et la grande diversité des pays dans lesquels nous opérons et l’engagement sans faille de nos équipes, qui font preuve d’une détermination souvent prise en exemple chez Veolia. Quant au Maroc, avec lequel notre Groupe, et la France plus généralement, entretiennent des liens durables et solides, je n’oublierai jamais la qualité de l’accueil qui m’a été réservé à chacune de mes visites. Comme de nombreux Français, je continuerai à y venir régulièrement !

Philippe Bourdeaux, vous êtes un pur produit de la «maison Veolia» et vous officiez jusqu’alors comme directeur régional Méditerranée dans le Groupe. Comment appréhendez-vous votre mission à l’heure de basculer vers la rive sud ?

La mobilité fait partie de la culture du Groupe Veolia. Christophe a beaucoup apporté à la zone Afrique et Moyen-Orient au cours des deux dernières années et je ne doute pas qu’il emporte avec lui également beaucoup de choses, qui lui seront utiles dans ses prochaines fonctions. C’est exactement la même chose pour moi : j’arrive dans cette zone avec pour bagage mes nombreuses années passées dans le sud de la France, une très bonne connaissance des métiers de notre Groupe et, bien sûr, l’enthousiasme de diriger une zone en pleine croissance.
J’entends évidemment poursuivre la stratégie qui a été mise en place et même l’amplifier. En Afrique et au Moyen-Orient, comme dans le reste du monde, nous souhaitons devenir l’entreprise de référence pour la transformation écologique. Dans cette région du monde, les défis sont immenses pour toutes nos parties prenantes, collectivités territoriales et industries, et nous sommes là pour les accompagner. Maintenant, je suis extrêmement impatient d’aller à la rencontre de nos équipes et de nos clients dans cette zone qui est vaste et diverse, mais qui est aussi très liée à la région Méditerranée que je gérais jusqu’à présent pour la France. Une chose est d’ores et déjà certaine, le Maroc continuera nécessairement à occuper une place particulière dans notre dispositif. 

Source : Le Matin

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